La récente crise sanitaire a mis en lumière le sous-équipement chronique de l’hôpital public. Quel regard y portez-vous ?
Pr Bernard Granger : L’épidémie n’a été que le révélateur d’une situation sur laquelle nous alertions depuis 2009. Nous avons été accusés d’être des mandarins, des corporatistes, de voir le monde à travers nos œillères de PU-PH parisiens, … Notre analyse était hélas juste et valable pour l’ensemble du système hospitalier, sous-financé, sous-équipé, et depuis longtemps au bord de la rupture. D’ailleurs, les nombreuses tribunes publiées par le MDHP ces dix dernières années sont toujours criantes de vérité. Et la dégradation du système de soins que nous tentions de prévenir s’est malheureusement vérifiée. Cela était déjà évident avant l’épidémie, avec les grèves, manifestations et autres démissions collectives de chefs de service, qui ont rythmé l’année 2019. Seul avait alors été proposé un « grand plan » pour l’hôpital d’une ambition en réalité réduite.
Pourtant, confronté à une crise inédite, le système a tenu.
Oui, si on peut dire, mais à quel prix ? Il a fallu convertir en urgence des lits de médecine en lits de réanimation et soins intensifs, pour palier aux nombreuses fermetures, sans véritables justifications sanitaires, de ces dernières années. Les hôpitaux ont été vidés en catastrophe de leurs malades non-Covid, avec des pertes de chance dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur. Des transferts de patients ont été organisés, y compris chez nos voisins européens, pour éviter que les hôpitaux d’Ile-de-France et du Grand-Est ne soient débordés. Des soignants ont été infectés en nombre, faute d’équipements de protection en quantité suffisante. Notre pays est un de ceux qui comptent le plus de victimes. L’hôpital a tenu, oui, parce que les professionnels hospitaliers se sont mobilisés en masse et ont reçu du renfort. Depuis, le Premier ministre a annoncé des revalorisations salariales… mais sans donner de chiffres. L’enveloppe destinée au secteur automobile a pourtant, elle, été précisée. Va-t-on désespérer ceux que l’on applaudissait il n’y a pas si longtemps encore ?
Quid alors du « Ségur de la santé » ?
Le 25 mai dernier, lors de l’inauguration de ce nouveau plan de sauvegarde, certains discours étaient porteurs d’espoir. Il n’en résulte pas moins un sentiment global d’amertume. Nous restons par exemple sur notre faim pour ce qui est de l’abandon de la logique comptable des soins, qui représente l’autre revendication majeure hors revalorisations salariales. De même pour la dé-bureaucratisation : nous attendions ici des annonces concrètes, d’autant que la crise nous a permis de tester en conditions réelles l’allègement des lourdeurs administratives habituelles. Nous, professionnels hospitaliers, sommes confrontés tous les jours à la maladie. Le Covid-19 n’est qu’une pathologie de plus. Ce qui était novateur, en revanche, c’étaient les procédures simplifiées, la possibilité de prendre des initiatives, de nous organiser, d’anticiper les directives, bref de faire preuve de bon sens pour réagir face à l’imprévu. Et cela a fonctionné ! Je suis bien conscient qu’une crise représente une séquence à part. Mais devons-nous, pour autant, en revenir à la situation antérieure ? Regardons ce qui a marché, et implantons-le !
Ce souhait rejoint, somme toute, vos demandes récurrentes en faveur d’une gouvernance plus équilibrée.
Il fait en effet remettre l’administratif au service des soins et trouver un meilleur équilibre entre impératifs médicaux et moyens disponibles. Dans un monde idéal, les enveloppes augmenteraient et les hôpitaux pourraient s’équiper à hauteur de leurs besoins. Mais les budgets hospitaliers ne sont pas extensibles, nous le savons bien. Cela étant dit, des pistes existent pour améliorer les conditions de travail des équipes tout en limitant les dépenses– comme par exemple celles que nous appelons de nos vœux : abandonner la seule logique financière et le carcan administratif ! Encore faudrait-il que les directeurs d’hôpitaux acceptent le principe d’un management participatif, qu’ils délèguent au moins en partie la gestion des services, pôles, départements, à la communauté médicale. Quelques-uns ont sauté le pas, mais ils sont bien rares. Pourtant, l’expérience l’a montré : la confiance, l’autonomie sont utilisées à bon escient par ceux qui en bénéficient. Notez qu’une telle organisation n’est possible que lorsque les pôles et départements sont construits selon une logique médicale et non, comme cela est le cas parfois, résultent d’un assemblage hétéroclite de services.
Une autre de vos revendications historiques, l’abandon de la T2A pour les activités MCO, a semble-t-il fait son chemin dans les esprits.
Emmanuel Macron avait annoncé durant sa campagne présidentielle en 2017que la T2A ne concernerait, à terme, pas plus de 50% du financement hospitalier. Mais pourquoi 50%, et non pas 40% ou 60% ? Il n’y a ici aucune justification logique… d’autant que la T2A ne couvre, par exemple, que la moitié des recettes d’un CHU. La question devrait se poser moins en termes de pourcentage de T2A que d’allocation globale : si les enveloppes sont faibles, les pénuries subsisteront. Pourquoi ne pas mettre en place une dotation annuelle globale, modulée par l’activité – sous réserve d’en simplifier le recueil –, et un tarif journalier pour certaines activités comme les soins palliatifs et la réanimation ? Aucun système n’est satisfaisant à 100%. Mais les prérequis devraient être : simplification et lisibilité, qui font toutes deux défaut au système actuel. Pourtant, nos préconisations se heurtent systématiquement à la technocratie sanitaire, à laquelle le Premier ministre accorde à mon sens une oreille trop complaisante.
Le mot de la fin ?
En ce qui concerne les maux de l’hôpital public, le diagnostic est connu mais la thérapeutique encore à venir.Osons écouter les soignants, mais aussi les directeurs hospitaliers, de plus en plus nombreux à également réclamer une simplification administrative et le desserrement du garrot financier. La crise du Covid l’a démontré : pour proposer des soins de qualité, il faut y mettre les moyens. Il est impératif que le Ségur de la santé soit à la hauteur des attentes. L’hôpital reste bouillonnant et prêt à exploser. Sans réponse d’ampleur, les mouvements sociaux reprendront.
Pr Bernard Granger : L’épidémie n’a été que le révélateur d’une situation sur laquelle nous alertions depuis 2009. Nous avons été accusés d’être des mandarins, des corporatistes, de voir le monde à travers nos œillères de PU-PH parisiens, … Notre analyse était hélas juste et valable pour l’ensemble du système hospitalier, sous-financé, sous-équipé, et depuis longtemps au bord de la rupture. D’ailleurs, les nombreuses tribunes publiées par le MDHP ces dix dernières années sont toujours criantes de vérité. Et la dégradation du système de soins que nous tentions de prévenir s’est malheureusement vérifiée. Cela était déjà évident avant l’épidémie, avec les grèves, manifestations et autres démissions collectives de chefs de service, qui ont rythmé l’année 2019. Seul avait alors été proposé un « grand plan » pour l’hôpital d’une ambition en réalité réduite.
Pourtant, confronté à une crise inédite, le système a tenu.
Oui, si on peut dire, mais à quel prix ? Il a fallu convertir en urgence des lits de médecine en lits de réanimation et soins intensifs, pour palier aux nombreuses fermetures, sans véritables justifications sanitaires, de ces dernières années. Les hôpitaux ont été vidés en catastrophe de leurs malades non-Covid, avec des pertes de chance dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur. Des transferts de patients ont été organisés, y compris chez nos voisins européens, pour éviter que les hôpitaux d’Ile-de-France et du Grand-Est ne soient débordés. Des soignants ont été infectés en nombre, faute d’équipements de protection en quantité suffisante. Notre pays est un de ceux qui comptent le plus de victimes. L’hôpital a tenu, oui, parce que les professionnels hospitaliers se sont mobilisés en masse et ont reçu du renfort. Depuis, le Premier ministre a annoncé des revalorisations salariales… mais sans donner de chiffres. L’enveloppe destinée au secteur automobile a pourtant, elle, été précisée. Va-t-on désespérer ceux que l’on applaudissait il n’y a pas si longtemps encore ?
Quid alors du « Ségur de la santé » ?
Le 25 mai dernier, lors de l’inauguration de ce nouveau plan de sauvegarde, certains discours étaient porteurs d’espoir. Il n’en résulte pas moins un sentiment global d’amertume. Nous restons par exemple sur notre faim pour ce qui est de l’abandon de la logique comptable des soins, qui représente l’autre revendication majeure hors revalorisations salariales. De même pour la dé-bureaucratisation : nous attendions ici des annonces concrètes, d’autant que la crise nous a permis de tester en conditions réelles l’allègement des lourdeurs administratives habituelles. Nous, professionnels hospitaliers, sommes confrontés tous les jours à la maladie. Le Covid-19 n’est qu’une pathologie de plus. Ce qui était novateur, en revanche, c’étaient les procédures simplifiées, la possibilité de prendre des initiatives, de nous organiser, d’anticiper les directives, bref de faire preuve de bon sens pour réagir face à l’imprévu. Et cela a fonctionné ! Je suis bien conscient qu’une crise représente une séquence à part. Mais devons-nous, pour autant, en revenir à la situation antérieure ? Regardons ce qui a marché, et implantons-le !
Ce souhait rejoint, somme toute, vos demandes récurrentes en faveur d’une gouvernance plus équilibrée.
Il fait en effet remettre l’administratif au service des soins et trouver un meilleur équilibre entre impératifs médicaux et moyens disponibles. Dans un monde idéal, les enveloppes augmenteraient et les hôpitaux pourraient s’équiper à hauteur de leurs besoins. Mais les budgets hospitaliers ne sont pas extensibles, nous le savons bien. Cela étant dit, des pistes existent pour améliorer les conditions de travail des équipes tout en limitant les dépenses– comme par exemple celles que nous appelons de nos vœux : abandonner la seule logique financière et le carcan administratif ! Encore faudrait-il que les directeurs d’hôpitaux acceptent le principe d’un management participatif, qu’ils délèguent au moins en partie la gestion des services, pôles, départements, à la communauté médicale. Quelques-uns ont sauté le pas, mais ils sont bien rares. Pourtant, l’expérience l’a montré : la confiance, l’autonomie sont utilisées à bon escient par ceux qui en bénéficient. Notez qu’une telle organisation n’est possible que lorsque les pôles et départements sont construits selon une logique médicale et non, comme cela est le cas parfois, résultent d’un assemblage hétéroclite de services.
Une autre de vos revendications historiques, l’abandon de la T2A pour les activités MCO, a semble-t-il fait son chemin dans les esprits.
Emmanuel Macron avait annoncé durant sa campagne présidentielle en 2017que la T2A ne concernerait, à terme, pas plus de 50% du financement hospitalier. Mais pourquoi 50%, et non pas 40% ou 60% ? Il n’y a ici aucune justification logique… d’autant que la T2A ne couvre, par exemple, que la moitié des recettes d’un CHU. La question devrait se poser moins en termes de pourcentage de T2A que d’allocation globale : si les enveloppes sont faibles, les pénuries subsisteront. Pourquoi ne pas mettre en place une dotation annuelle globale, modulée par l’activité – sous réserve d’en simplifier le recueil –, et un tarif journalier pour certaines activités comme les soins palliatifs et la réanimation ? Aucun système n’est satisfaisant à 100%. Mais les prérequis devraient être : simplification et lisibilité, qui font toutes deux défaut au système actuel. Pourtant, nos préconisations se heurtent systématiquement à la technocratie sanitaire, à laquelle le Premier ministre accorde à mon sens une oreille trop complaisante.
Le mot de la fin ?
En ce qui concerne les maux de l’hôpital public, le diagnostic est connu mais la thérapeutique encore à venir.Osons écouter les soignants, mais aussi les directeurs hospitaliers, de plus en plus nombreux à également réclamer une simplification administrative et le desserrement du garrot financier. La crise du Covid l’a démontré : pour proposer des soins de qualité, il faut y mettre les moyens. Il est impératif que le Ségur de la santé soit à la hauteur des attentes. L’hôpital reste bouillonnant et prêt à exploser. Sans réponse d’ampleur, les mouvements sociaux reprendront.
Article publié sur le numéro de juin d'Hospitalia à consulter ici : https://www.hospitalia.fr/Hospitalia-49-Special-Covid-19-MERCI-_a2230.html